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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

Cette remarque est juste, et je l’ai faite moi-même bien des fois.

J’ai toujours considéré l’Angleterre comme le pays du monde où, de notre temps, le lien de la domesticité est le plus serré, et la France la contrée de la terre où il est le plus lâche. Nulle part le maître ne m’a paru plus haut ni plus bas que dans ces deux pays.

C’est entre ces extrémités que les Américains se placent.

Voilà le fait superficiel et apparent. Il faut remonter fort avant pour en découvrir les causes.

On n’a point encore vu de sociétés où les conditions fussent si égales, qu’il ne s’y rencontrât point de riches ni de pauvres ; et, par conséquent de maîtres et de serviteurs.

La démocratie n’empêche point que ces deux classes d’hommes n’existent ; mais elle change leur esprit et modifie leurs rapports.

Chez les peuples aristocratiques, les serviteurs forment une classe particulière, qui ne varie pas plus que celle des maîtres. Un ordre fixe ne tarde pas à y naître ; dans la première comme dans la seconde, on voit bientôt paraître une hiérarchie, des classifications nombreuses, des rangs marqués, et les générations s’y succèdent sans que les positions changent. Ce sont deux sociétés super-