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SUR LA SOCIÉTÉ POLITIQUE.

Ainsi le souverain ne se borne pas à diriger la fortune publique ; il s’introduit encore dans les fortunes privées ; il est le chef de chaque citoyen et souvent son maître, et, de plus, il se fait son intendant et son caissier.

Non seulement le pouvoir central remplit seul la sphère entière des anciens pouvoirs, l’étend et la dépasse, mais il s’y meut, avec plus d’agilité, de force et d’indépendance qu’il ne faisait jadis.

Tous les gouvernements de l’Europe ont prodigieusement perfectionné, de notre temps, la science administrative ; ils font plus de choses, et ils font chaque chose avec plus d’ordre, de rapidité, et moins de frais ; ils semblent s’enrichir sans cesse de toutes les lumières qu’ils ont enlevées aux particuliers. Chaque jour, les princes de l’Europe tiennent leurs délégués dans une dépendance plus étroite, et ils inventent des méthodes nouvelles pour les diriger de plus près, et les surveiller avec moins de peine. Ce n’est point assez pour eux de conduire toutes les affaires par leurs agents, ils entreprennent de diriger la conduite de leurs agents

    nement s’empare de plus en plus de toutes les sources du bien-être.

    Les hommes vont donc par deux chemins divers vers la servitude. Le goût du bien-être les détourne de se mêler du gouvernement, et l’amour du bien-être les met dans une dépendance de plus en plus étroite des gouvernants.