Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 4.djvu/294

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
291
SUR LA SOCIÉTÉ POLITIQUE.

tous leurs besoins, ils l’appellent à leur aide, et ils attachent à tout moment sur lui leurs regards comme sur un précepteur ou sur un guide.

J’affirme qu’il n’y a pas de pays en Europe où l’administration publique ne soit devenue non seulement plus centralisée, mais plus inquisitive et plus détaillée ; partout elle pénètre plus avant que jadis dans les affaires privées ; elle règle à sa manière plus d’actions, et des actions plus petites, et elle s’établit davantage tous les jours à côté, autour et au-dessus de chaque individu, pour l’assister, le conseiller et le contraindre.

Jadis, le souverain vivait du revenu de ses terres ou du produit des taxes. Il n’en est plus de même aujourd’hui que ses besoins ont crû avec sa puissance. Dans les mêmes circonstances où jadis un prince établissait un nouvel impôt, on a recours aujourd’hui à un emprunt. Peu à peu l’état devient ainsi le débiteur de la plupart des riches, et il centralise dans ses mains les plus grands capitaux.

Il attire les moindres d’une autre manière.

À mesure que les hommes se mêlent et que les conditions s’égalisent, le pauvre a plus de ressources, de lumières et de désirs. Il conçoit l’idée d’améliorer son sort, et il cherche à y parvenir par l’épargne. L’épargne fait donc naître, chaque jour, un nombre infini de petits capitaux, fruits lents et successifs du travail ; ils s’accroissent sans