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SUR LA SOCIÉTÉ POLITIQUE.

des idées. L’uniformité règne dans les études comme dans tout le reste ; la diversité, comme la liberté, en disparaissent chaque jour.

Je ne crains pas non plus d’avancer que chez presque toutes les nations chrétiennes de nos jours, les catholiques aussi bien que les protestantes, la religion est menacée de tomber dans les mains du gouvernement. Ce n’est pas que les souverains se montrent fort jaloux de fixer eux-mêmes le dogme ; mais ils s’emparent de plus en plus des volontés de celui qui l’explique : ils ôtent au clergé ses propriétés, lui assignent un salaire, détournent et utilisent à leur seul profit l’influence que le prêtre possède ; ils en font un de leurs fonctionnaires et souvent un de leurs serviteurs, et ils pénètrent avec lui jusqu’au plus profond de l’âme de chaque homme[1].

Mais ce n’est encore là qu’un côté du tableau.

Non seulement le pouvoir du souverain s’est étendu, comme nous venons de le voir, dans la sphère entière des anciens pouvoirs ; celle-ci ne suffit plus pour le contenir ; il la déborde de toutes

  1. À mesure que les attributions du pouvoir central augmentent, le nombre des fonctionnaires qui le représentent s’accroît. Ils forment une nation dans chaque nation ; et comme le gouvernement leur prête sa stabilité, ils remplacent de plus en plus chez chacune d’elles l’aristocratie.

    Presque partout en Europe, le souverain domine de deux manières : il mène une partie des citoyens par la crainte qu’ils éprouvent de ses agents, et l’autre par l’espérance qu’ils conçoivent de devenir ses agents.