Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 4.djvu/290

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
287
SUR LA SOCIÉTÉ POLITIQUE.

pendance. D’un bout de l’Europe a l’autre, les privilèges des seigneurs, les libertés des villes, les administrations provinciales, sont détruites ou vont l’être.

L’Europe a éprouvé, depuis un demi-siècle, beaucoup de révolutions et contre-révolutions qui l’ont remuée en sens contraire. Mais tous ces mouvements se ressemblent en un point : tous ont ébranlé ou détruit les pouvoirs secondaires. Des privilèges locaux, que la nation française n’avait pas abolis dans les pays conquis par elle, ont achevé de succomber sous les efforts des princes qui l’ont vaincue. Ces princes ont rejeté toutes les nouveautés que la révolution avait créées chez eux, excepté la centralisation : c’est la seule chose qu’ils aient consenti à tenir d’elle.

Ce que je veux remarquer, c’est que tous ces droits divers qui ont été arrachés successivement, de notre temps, à des classes, à des corporations, à des hommes, n’ont point servi à élever sur une base plus démocratique de nouveaux pouvoirs secondaires, mais se sont concentrés de toutes parts dans les mains du souverain. Partout l’état arrive de plus en plus à diriger par lui-même les moindres citoyens et à conduire seul chacun d’eux dans les moindres affaires[1].

  1. Cet affaiblissement graduel de l’individu en face de la société, se