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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

Un Américain parle tous les jours de l’admirable égalité qui règne aux États-Unis ; il s’en enorgueillit tout haut pour son pays ; mais il s’en afflige secrètement pour lui-même, et il aspire à montrer que, quant à lui, il fait exception à l’ordre général qu’il préconise.

On ne rencontre guère d’Américain qui ne veuille tenir quelque peu par sa naissance aux premiers fondateurs des colonies, et, quant aux rejetons de grandes familles d’Angleterre, l’Amérique m’en a semblé toute couverte.

Lorsqu’un Américain opulent aborde en Europe, son premier soin est de s’entourer de toutes les richesses du luxe ; et il a si grand’ peur qu’on ne le prenne pour le simple citoyen d’une démocratie, qu’il se replie de cent façons afin de présenter chaque jour devant vous une nouvelle image de sa richesse. Il se loge d’ordinaire dans le quartier le plus apparent de la ville ; il a de nombreux serviteurs qui l’entourent sans cesse.

J’ai entendu un Américain se plaindre que, dans les principaux salons de Paris, on ne rencontrât qu’une société mêlée. Le goût qui y règne ne lui paraissait pas assez pur, et il laissait entendre adroitement qu’à son avis, on y manquait de distinction dans les manières. Il ne s’habituait pas à voir l’esprit se cacher ainsi sous des formes vulgaires.