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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

soin fournit aussi les moyens de le satisfaire. Car, ainsi que je l’ai dit, quand tous les hommes sont semblables, ils sont tous faibles. Le pouvoir social est naturellement beaucoup plus fort chez les peuples démocratiques que partout ailleurs. Ces peuples, en même temps qu’ils sentent le désir d’appeler toute leur population virile sous les armes, ont donc la faculté de l’y réunir : ce qui fait que dans les siècles d’égalité les armées semblent croître à mesure que l’esprit militaire s’éteint.

Dans les mêmes siècles, la manière de faire la guerre change aussi par les mêmes causes.

Machiavel dit dans son livre du Prince « qu’il est bien plus difficile de subjuguer un peuple qui a pour chefs un prince et des barons, qu’une nation qui est conduite par un prince et des esclaves ». Mettons, pour n’offenser personne, des fonctionnaires publics au lieu d’esclaves, et nous aurons une grande vérité, fort applicable à notre sujet.

Il est très-difficile à un grand peuple aristocratique de conquérir ses voisins et d’être conquis par eux. Il ne saurait les conquérir, parce qu’il ne peut jamais réunir toutes ses forces et les tenir longtemps ensemble ; et il ne peut être conquis, parce que l’ennemi trouve partout de petits foyers de résistance qui l’arrêtent. Je comparerai la guerre dans un pays aristocratique à la guerre dans un