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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

les classes, et les forcent de suivre en commun de grandes entreprises. Des gens ainsi occupés n’ont guère le temps de songer aux détails de l’étiquette, et ils ont d’ailleurs trop d’intérêt à vivre d’accord, pour s’y arrêter. Ils s’accoutument donc aisément a considérer, dans ceux avec lesquels ils se rencontrent, les sentiments et les idées, plutôt que les manières, et ils ne se laissent point émouvoir pour des bagatelles.

J’ai remarqué bien des fois qu’aux États-Unis, ce n’est point une chose aisée que de faire entendre à un homme que sa présence importune. Pour en arriver là, les voies détournées ne suffisent point toujours.

Je contredis un Américain à tout propos, afin de lui faire sentir que ses discours me fatiguent ; et à chaque instant je lui vois faire de nouveaux efforts pour me convaincre ; je garde un silence obstiné, et il s’imagine que je réfléchis profondément aux vérités qu’il me présente ; et quand je me dérobe enfin tout à coup à sa poursuite, il suppose qu’une affaire pressante m’appelle ailleurs. Cet homme ne comprendra pas qu’il m’excède, sans que je le lui dise, et je ne pourrai me sauver de lui qu’en devenant son ennemi mortel.

Ce qui surprend au premier abord, c’est que ce même homme transporté en Europe y devient