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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

intérêts conservateurs ; leurs goûts casaniers à ses passions aventureuses ; leur bon sens aux écarts de son génie ; à sa poésie, leur prose. Il les soulève un moment avec mille efforts, et bientôt ils lui échappent, et comme entraînés par leur propre poids, ils retombent. Il s’épuise à vouloir animer cette foule indifférente et distraite, et il se voit enfin réduit à l’impuissance, non qu’il soit vaincu, mais parce qu’il est seul.

Je ne prétends point que les hommes qui vivent dans les sociétés démocratiques soient naturellement immobiles ; je pense, au contraire, qu’il règne au sein d’une pareille société un mouvement éternel, et que personne n’y connaît le repos ; mais je crois que les hommes s’y agitent entre de certaines limites qu’ils ne dépassent guère. Ils varient, altèrent ou renouvellent chaque jour les choses secondaires ; ils ont grand soin de ne pas toucher aux principales. Ils aiment le changement ; mais ils redoutent les révolutions.

Quoique les Américains modifient ou abrogent sans cesse quelques-unes de leurs lois, ils sont bien loin de faire voir des passions révolutionnaires. Il est facile de découvrir, à la promptitude avec laquelle ils s’arrêtent et se calment lorsque l’agitation publique commence à devenir menaçante et au moment même où les passions semblent le plus excitées,