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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

plus incorporée à la terre, et représentée par elle, est insaisissable et comme invisible. De même qu’il n’y a plus de races de pauvres, il n’y a plus de races de riches ; ceux-ci sortent chaque jour du sein de la foule, et y retournent sans cesse. Ils ne forment donc point une classe à part, qu’on puisse aisément définir et dépouiller ; et, tenant d’ailleurs par mille fils secrets à la masse de leurs concitoyens, le peuple ne saurait guère les frapper sans s’atteindre lui-même. Entre ces deux extrémités de sociétés démocratiques, se trouve une multitude innombrable d’hommes presque pareils, qui, sans être précisément ni riches ni pauvres, possèdent assez de biens pour désirer l’ordre, et n’en ont pas assez pour exciter l’envie.

Ceux-là sont naturellement ennemis des mouvements violents ; leur immobilité maintient en repos tout ce qui se trouve au-dessus et au-dessous d’eux, et assure le corps social dans son assiette.

Ce n’est pas que ceux-là mêmes soient satisfaits de leur fortune présente, ni qu’ils ressentent de l’horreur naturelle pour une révolution dont ils partageraient les dépouilles sans en éprouver les maux ; ils désirent au contraire, avec une ardeur sans égale, de s’enrichir ; mais l’embarras est de savoir sur qui prendre. Le même état social qui