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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

d’en jouir paisiblement comme d’un patrimoine.

Je ne dirai point que ce désir universel et immodéré des fonctions publiques est un grand mal social ; qu’il détruit, chez chaque citoyen, l’esprit d’indépendance et répand dans tout le corps de la nation une humeur vénale et servile ; qu’il y étouffe les vertus viriles ; je ne ferai point observer non plus qu’une industrie de cette espèce ne crée qu’une activité improductive et agite le pays sans le féconder : tout cela se comprend aisément.

Mais je veux remarquer que le gouvernement qui favorise une semblable tendance risque sa tranquillité et met sa vie même en grand péril.

Je sais que, dans un temps comme le nôtre, où l’on voit s’éteindre graduellement l’amour et le respect qui s’attachaient jadis au pouvoir, il peut paraître nécessaire aux gouvernants d’enchaîner plus étroitement, par son intérêt, chaque homme, et qu’il leur semble commode de se servir de ses passions mêmes pour le tenir dans l’ordre et dans le silence ; mais il n’en saurait être ainsi longtemps, et ce qui peut paraître durant une certaine période une cause de force, devient assurément à la longue un grand sujet de trouble et de faiblesse.

Chez les peuples démocratiques comme chez tous les autres, le nombre des emplois publics finit par avoir des bornes ; mais, chez ces mêmes