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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

fonction publique à une autre, qu’après s’être soumis à un concours. Cette épreuve se rencontre à chaque pas de sa carrière, et l’idée en est si bien entrée dans les mœurs, que je me souviens d’avoir lu un roman chinois où le héros, après beaucoup de vicissitudes, touche enfin le cœur de sa maîtresse en passant un bon examen. De grandes ambitions respirent mal à l’aise dans une semblable atmosphère.

Ce que je dis de la politique s’étend à toutes choses ; l’égalité produit partout les mêmes effets ; là où la loi ne se charge pas de régler et de retarder le mouvement des hommes, la concurrence y suffit.

Dans une société démocratique bien assise, les grandes et rapides élévations sont donc rares ; elles forment des exceptions à la commune règle. C’est leur singularité qui fait oublier leur petit nombre.

Les hommes des démocraties finissent par entrevoir toutes ces choses ; ils s’aperçoivent à la longue que le législateur ouvre devant eux un champ sans limites, dans lequel tous peuvent aisément faire quelques pas, mais que nul ne peut se flatter de parcourir vite. Entre eux et le vaste et final objet de leurs désirs, ils voient une multitude de petites barrières intermédiaires, qu’il leur faut franchir avec lenteur ; cette vue fatigue d’avance leur ambition et la rebute. Ils renoncent donc à ces loin-