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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

Ce qui étonne, au premier abord, c’est que quand l’honneur règne avec cette pleine puissance, ses prescriptions sont en général fort étranges ; de telle sorte qu’on semble lui mieux obéir à mesure qu’il paraît s’écarter davantage de la raison ; d’où il est quelquefois arrivé de conclure que l’honneur était fort, à cause même de son extravagance.

Ces deux choses ont, en effet, la même origine ; mais elles ne découlent pas l’une de l’autre.

L’honneur est bizarre en proportion de ce qu’il représente des besoins plus particuliers et ressentis par un plus petit nombre d’hommes ; et c’est parce qu’il représente des besoins de cette espèce qu’il est puissant. L’honneur n’est donc pas puissant parce qu’il est bizarre ; mais il est bizarre et puissant par la même cause.

Je ferai une autre remarque.

Chez les peuples aristocratiques, tous les rangs diffèrent, mais tous les rangs sont fixes ; chacun occupe dans sa sphère un lieu dont il ne peut sortir, et où il vit au milieu d’autres hommes attachés autour de lui de la même manière. Chez ces nations, nul ne peut donc espérer ou craindre de n’être pas vu ; il ne se rencontre pas d’homme si bas placé qui n’ait son théâtre, et qui doive échapper, par son obscurité, au blâme ou à la louange.