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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

qu’en hésitant son arrêt. Quelquefois il lui arrive de se contredire ; souvent elle se tient immobile, et laisse faire.

La faiblesse relative de l’honneur dans les démocraties tient encore à plusieurs autres causes.

Dans les pays aristocratiques, le même honneur n’est jamais admis que par un certain nombre d’hommes, souvent restreint et toujours séparé du reste de leurs semblables. L’honneur se mêle donc aisément et se confond, dans l’esprit de ceux-là, avec l’idée de tout ce qui les distingue. Il leur apparaît comme le trait distinctif de leur physionomie ; ils en appliquent les différentes règles avec toute l’ardeur de l’intérêt personnel, et ils mettent, si je puis m’exprimer ainsi, de la passion à lui obéir.

Cette vérité se manifeste bien clairement quand on lit les coutumiers du moyen-âge, à l’article des duels judiciaires. On y voit que les nobles étaient tenus, dans leurs querelles, de se servir de la lance et de l’épée, tandis que les vilains usaient entre eux du bâton, « attendu, ajoutent les coutumes, que les vilains n’ont pas d’honneur. » Cela ne voulait pas dire, ainsi qu’on se l’imagine de nos jours, que ces hommes fussent méprisables ; cela signifiait seulement que leurs actions n’étaient pas jugées d’après les mêmes règles que celles de l’aristocratie.