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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

communes, en matière d’honneur ; mais de semblables opinions ne se présentent jamais en même temps, de la même manière, et avec une égale force à l’esprit de tous les citoyens ; la loi de l’honneur existe, mais elle manque souvent d’interprètes.

La confusion est bien plus grande encore dans un pays démocratique comme le nôtre où les différentes classes qui composaient l’ancienne société, venant à se mêler sans avoir pu encore se confondre, importent, chaque jour, dans le sein les unes des autres, les notions diverses et souvent contraires de leur honneur ; où chaque homme, suivant ses caprices, abandonne une partie des opinions de ses pères et retient l’autre ; de telle sorte, qu’au milieu de tant de mesures arbitraires, il ne saurait jamais s’établir une commune règle. Il est presque impossible alors de dire à l’avance quelles actions seront honorées ou flétries. Ce sont des temps misérables ; mais ils ne durent point.

Chez les nations démocratiques, l’honneur étant mal défini, est nécessairement moins puissant ; car il est difficile d’appliquer avec certitude et fermeté une loi qui est imparfaitement connue. L’opinion publique, qui est l’interprète naturel et souverain de la loi de l’honneur, ne voyant pas distinctement de quel côté il convient de faire pencher le blâme ou la louange, ne prononce