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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

On ne trouve, au contraire, dans le moyen-âge, ue peu de traces d’une passion qui a fait la vie des sociétés antiques. Je veux parler du patriotisme. Le nom même du patriotisme n’est point ancien dans notre idiome[1].

Les institutions féodales dérobaient la patrie aux regards ; elles en rendaient l’amour moins nécessaire. Elles faisaient oublier la nation en passionnant pour un homme. Aussi, ne voit-on pas que l’honneur féodal ait jamais fait une loi étroite de rester fidèle à son pays.

Ce n’est pas que l’amour de la patrie n’existât point dans le cœur de nos pères ; mais il n’y formait qu’une sorte d’instinct faible et obscur, qui est devenu plus clair et plus fort, à mesure qu’on a détruit les classes et centralisé le pouvoir.

Ceci se voit bien par les jugements contraires que portent les peuples d’Europe sur les différents faits de leur histoire, suivant la génération qui les juge. Ce qui déshonorait principalement le connétable de Bourbon aux yeux de ses contemporains, c’est qu’il portait les armes contre son roi ; ce qui le déshonore le plus à nos yeux, c’est qu’il faisait la guerre à son pays. Nous le flétrissons autant que nos ayeux, mais par d’autres raisons.

J’ai choisi pour éclaircir ma pensée, l’honneur

  1. Le mot patrie lui-même ne se rencontre dans les auteurs français qu’à partir du seizième siècle.