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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

manière de penser et de sentir, chacun d’eux peut juger en un moment des sensations de tous les autres : il jette un coup d’œil rapide sur lui-même ; cela lui suffit. Il n’y a donc pas de misères qu’il ne conçoive sans peine, et dont un instinct secret ne lui découvre l’étendue. En vain s’agira-t-il d’étrangers ou d’ennemis : l’imagination le met aussitôt à leur place. Elle mêle quelque chose de personnel a sa pitié, et le fait souffrir lui-même tandis qu’on déchire le corps de son semblable.

Dans les siècles démocratiques, les hommes se dévouent rarement les uns pour les autres ; mais ils montrent une compassion générale pour tous les membres de l’espèce humaine. On ne les voit point infliger de maux inutiles, et quand, sans se nuire beaucoup à eux-mêmes, ils peuvent soulager les douleurs d’autrui, ils prennent plaisir à le faire ; ils ne sont pas désintéressés, mais ils sont doux.

Quoique les Américains aient pour ainsi dire réduit l’égoïsme en théorie sociale et philosophique, ils ne s’en montrent pas moins fort accessibles à la pitié.

Il n’y a point de pays où la justice criminelle soit administrée avec plus de bénignité qu’aux États-Unis. Tandis que les Anglais semblent vouloir conserver précieusement dans leur législation