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SUR LES SENTIMENTS DES AMÉRICAINS.

plus opulents et plus éclairés, consacrent à l’industrie leurs richesses et leurs sciences, et cherchent en ouvrant de grands ateliers, et en divisant strictement le travail, à satisfaire les nouveaux désirs qui se manifestent de toutes parts.

Ainsi, à mesure que la masse de la nation tourne à la démocratie, la classe particulière qui s’occupe d’industrie devient plus aristocratique. Les hommes se montrent de plus en plus semblables dans l’une, et de plus en plus différents dans l’autre, et l’inégalité augmente dans la petite société, en proportion qu’elle décroît dans la grande.

C’est ainsi que, lorsqu’on remonte à la source, il semble qu’on voie l’aristocratie sortir par un effort naturel du sein même de la démocratie.

Mais cette aristocratie-là ne ressemble point à celles qui l’ont précédée.

On remarquera d’abord, que ne s’appliquant qu’à l’industrie et à quelques-unes des professions industrielles seulement, elle est une exception, un monstre dans l’ensemble de l’état social.

Les petites sociétés aristocratiques que forment certaines industries au milieu de l’immense démocratie de nos jours, renferment comme les grandes sociétés aristocratiques des anciens temps, quelques hommes très-opulents et une multitude très-misérable. Ces pauvres ont peu de moyens de sortir de leur condition et de devenir