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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

opération d’industrie, de commerce ou à quelques devoirs publics. Il s’estimerait mal famé s’il n’employait sa vie qu’à vivre. C’est pour se soustraire à cette obligation du travail que tant de riches Américains viennent en Europe : là, ils trouvent des débris de sociétés aristocratiques parmi lesquelles l’oisiveté est encore honorée.

L’égalité ne réhabilite pas seulement l’idée du travail, elle relève l’idée du travail procurant un lucre.

Dans les aristocraties, ce n’est pas précisément le travail qu’on méprise, c’est le travail en vue d’un profit. Le travail est glorieux quand c’est l’ambition ou la seule vertu qui le fait entreprendre. Sous l’aristocratie cependant, il arrive sans cesse que celui qui travaille pour l’honneur n’est pas insensible à l’appât du gain. Mais ces deux désirs ne se rencontrent qu’au plus profond de son âme. Il a bien soin de dérober à tous les regards la place où ils s’unissent. Il se la cache volontiers à lui-même. Dans les pays aristocratiques, il n’y a guère de fonctionnaires publics qui ne prétendent servir sans intérêt l’État. Leur salaire est un détail auquel quelquefois ils pensent peu, et auquel ils affectent toujours de ne point penser.

Ainsi, l’idée du gain reste distincte de celle du travail. Elles ont beau être jointes au fait, la pensé les sépare.