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SUR LES SENTIMENTS DES AMÉRICAINS.

Il faut surtout qu’ils s’efforcent de bannir autant que possible le hasard du monde politique.

L’élévation subite et imméritée d’un courtisan, ne produit qu’une impression passagère dans un pays aristocratique, parce que l’ensemble des institutions et des croyances force habituellement les hommes à marcher lentement dans des voies dont ils ne peuvent sortir.

Mais il n’y a rien de plus pernicieux que de pareils exemples offerts aux regards d’un peuple démocratique. Ils achèvent de précipiter son cœur sur une pente où tout l’entraîne. C’est donc principalement dans les temps de scepticisme et d’égalité, qu’on doit éviter avec soin que la faveur du peuple, ou celle du prince, dont le hasard vous favorise ou vous prive, ne tienne lieu de la science et des services. Il est à souhaiter que chaque progrès y paraisse le fruit d’un effort, de telle sorte qu’il n’y ait pas de grandeurs trop faciles, et que l’ambition soit forcée de fixer longtemps ses regards vers le but avant de l’atteindre.

Il faut que les gouvernements s’appliquent à redonner aux hommes ce goût de l’avenir, qui n’est plus inspiré par la religion et l’état social, et que, sans le dire, ils enseignent chaque jour pratiquement aux citoyens que la richesse, la renommée, le pouvoir, sont les prix du travail ; que les grands