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SUR LES SENTIMENTS DES AMÉRICAINS.

démocratie par la religion. Ce qu’ils pensent à cet égard sur eux-mêmes est une vérité dont toute nation démocratique doit être pénétrée.

Je ne doute point que la constitution sociale et politique d’un peuple ne le dispose à certaines croyances et à certains goûts dans lesquels il abonde ensuite sans peine ; tandis que ces mêmes causes l’écartent de certaines opinions et de certains penchants, sans qu’il y travaille de lui-même, et pour ainsi dire sans qu’il s’en doute.

Tout l’art du législateur consiste à bien discerner d’avance ces pentes naturelles des sociétés humaines, afin de savoir où il faut aider l’effort des citoyens, et où il serait plutôt nécessaire de le ralentir. Car ces obligations diffèrent suivant les temps. Il n’y a d’immobile que le but vers lequel doit toujours tendre le genre humain ; les moyens de l’y faire arriver varient sans cesse.

Si j’étais né dans un siècle aristocratique, au milieu d’une nation où la richesse héréditaire des uns et la pauvreté irrémédiable des autres, détournassent également les hommes de l’idée du mieux, et tinssent les âmes comme engourdies dans la contemplation d’un autre monde ; je voudrais qu’il me fût possible de stimuler chez un pareil peuple le sentiment des besoins, je songerais à découvrir les moyens plus rapides et plus aisés de satisfaire les nouveaux désirs que j’aurais fait