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SUR LES SENTIMENTS DES AMÉRICAINS.

cependant que c’est à travers le bon ordre que tous les peuples sont arrivés à la tyrannie. Il ne s’ensuit pas assurément que les peuples doivent mépriser la paix publique ; mais il ne faut pas qu’elle leur suffise. Une nation qui ne demande à son gouvernement que le maintien de l’ordre est déjà esclave au fond du cœur ; elle est esclave de son bien-être, et l’homme qui doit l’enchaîner peut paraître.

Le despotisme des factions n’y est pas moins à redouter que celui d’un homme.

Lorsque la masse des citoyens ne veut s’occuper que d’affaires privées, les plus petits partis ne doivent pas désespérer de devenir maîtres des affaires publiques.

Il n’est pas rare de voir alors sur la vaste scène du monde, ainsi que sur nos théâtres, une multitude représentée par quelques hommes. Ceux-ci parlent seuls au nom d’une foule absente ou inattentive ; seuls ils agissent au milieu de l’immobilité universelle ; ils disposent, suivant leur caprice, de toutes choses, ils changent les lois, et tyrannisent à leur gré les mœurs ; et l’on s’étonne en voyant le petit nombre de faibles et d’indignes mains dans lesquelles peut tomber un grand peuple.

Jusqu’à présent, les Américains ont évité avec bonheur tous les écueils que je viens d’indiquer ;