Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 3.djvu/262

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
253
SUR LES SENTIMENTS DES AMÉRICAINS.

nètre par son intelligence dans la pensée divine ; il voit que le but de Dieu est l’ordre ; il s’associe librement à ce grand dessein, et, tout en sacrifiant ses intérêts particuliers à cet ordre admirable de toutes choses, il n’attend d’autres récompenses que le plaisir de le contempler.

Je ne crois donc pas que le seul mobile des hommes religieux soit l’intérêt ; mais je pense que l’intérêt est le principal moyen dont les religions elles-mêmes se servent pour conduire les hommes, et je ne doute pas que ce ne soit par ce côté qu’elles saisissent la foule et deviennent populaires.

Je ne vois donc pas clairement pourquoi la doctrine de l’intérêt bien entendu écarterait les hommes des croyances religieuses, et il me semble, au contraire, que je démêle comment elle les en rapproche.

Je suppose que, pour atteindre le bonheur de ce monde, un homme résiste en toutes rencontres à l’instinct, et raisonne froidement tous les actes de sa vie, qu’au lieu de céder aveuglément à la fougue de ses premiers désirs, il ait appris l’art de les combattre, et qu’il se soit habitué à sacrifier sans efforts le plaisir du moment à l’intérêt permanent de toute sa vie.

Si un pareil homme a foi dans la religion qu’il professe, il ne lui en coûtera guère de se soumettre aux gênes qu’elle impose. La raison même lui con-