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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

Les philosophes qui enseignent cette doctrine disent aux hommes que, pour être heureux dans la vie, on doit veiller sur ses passions et en réprimer avec soin l’excès ; qu’on ne saurait acquérir un bonheur durable qu’en se refusant mille jouissances passagères, et qu’il faut enfin triompher sans cesse de soi-même pour se mieux servir.

Les fondateurs de presque toutes les religions ont tenu à peu près le même langage. Sans indiquer aux hommes une autre route, ils n’ont fait que reculer le but ; au lieu de placer en ce monde le prix des sacrifices qu’ils imposent, ils l’ont mis dans l’autre.

Toutefois, je me refuse à croire que tous ceux qui pratiquent la vertu par esprit de religion n’agissent que dans la vue d’une récompense.

J’ai rencontré des chrétiens zélés qui s’oubliaient sans cesse afin de travailler avec plus d’ardeur au bonheur de tous, et je les ai entendus prétendre qu’ils n’agissaient ainsi que pour mériter les biens de l’autre monde ; mais je ne puis m’empêcher de penser qu’ils s’abusent eux-mêmes. Je les respecte trop pour les croire.

Le christianisme nous dit, il est vrai, qu’il faut préférer les autres à soi, pour gagner le ciel ; mais le christianisme nous dit aussi qu’on doit faire le bien à ses semblables par amour de Dieu. C’est là une expression magnifique ; l’homme pé-