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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

riches ; chacun de ceux-ci peut exécuter à lui seul de grandes entreprises.

Dans les sociétés aristocratiques, les hommes n’ont pas besoin de s’unir pour agir, parce qu’ils sont retenus fortement ensemble.

Chaque citoyen, riche et puissant, y forme comme la tête d’une association permanente et forcée qui est composée de tous ceux qu’il tient dans sa dépendance et qu’il fait concourir à l’exécution de ses desseins.

Chez les peuples démocratiques, au contraire, tous les citoyens sont indépendants et faibles ; ils ne peuvent presque rien par eux-mêmes, et aucun d’entre eux ne saurait obliger ses semblables à lui prêter leur concours. Ils tombent donc tous dans l’impuissance s’ils n’apprennent à s’aider librement.

Si les hommes qui vivent dans les pays démocratiques n’avaient ni le droit, ni le goût de s’unir dans des buts politiques, leur indépendance courrait de grands hasards, mais ils pourraient conserver longtemps leurs richesses et leurs lumières ; tandis que s’ils n’acquéraient point l’usage de s’associer dans la vie ordinaire, la civilisation elle-même serait en péril. Un peuple chez lequel les particuliers perdraient le pouvoir de faire isolément de grandes choses sans acquérir la faculté de les produire en commun retournerait bientôt vers la barbarie.

Malheureusement le même état social qui rend