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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

et comme conséquence de cette égalité même. Ce sont les rois absolus qui ont le plus travaillé à niveler les rangs parmi leurs sujets. Chez ces peuples, l’égalité a précédé la liberté ; l’égalité était donc un fait ancien, lorsque la liberté était encore une chose nouvelle ; l’une avait déjà créé des opinions, des usages, des lois qui lui étaient propres, lorsque l’autre se produisait seule, et pour la première fois, au grand jour. Ainsi, la seconde n’était encore que dans les idées et dans les goûts, tandis que la première avait déjà pénétré dans les habitudes, s’était emparée des mœurs, et avait donné un tour particulier aux moindres actions de la vie. Comment s’étonner si les hommes de nos jours préfèrent l’une à l’autre ?

Je pense que les peuples démocratiques ont un goût naturel pour la liberté ; livrés à eux-mêmes, ils la cherchent, ils l’aiment, et ils ne voient qu’avec douleur qu’on les en écarte. Mais ils ont pour l’égalité une passion ardente, insatiable, éternelle, invincible ; ils veulent l’égalité dans la liberté, et, s’ils ne peuvent l’obtenir, ils la veulent encore dans l’esclavage. Ils souffriront la pauvreté, l’asservissement, la barbarie, mais ils ne souffriront pas l’aristocratie.

Ceci est vrai dans tous les temps, et surtout dans le nôtre. Tous les hommes et tous les pou-