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SUR LE MOUVEMENT INTELLECTUEL.

Mais ce n’est point ainsi que les électeurs l’entendent.

La population d’un canton charge un citoyen de prendre part au gouvernement de l’État, parce qu’elle a conçu une très-vaste idée de son mérite. Comme les hommes paraissent plus grands en proportion qu’ils se trouvent entourés d’objets plus petits, il est à croire que l’opinion qu’on se fera du mandataire sera d’autant plus haute que les talents seront plus rares parmi ceux qu’il représente. Il arrivera donc souvent que les électeurs espéreront d’autant plus de leur député qu’ils auront moins à en attendre ; et, quelque incapable qu’il puisse être, ils ne sauraient manquer d’exiger de lui des efforts signalés qui répondent au rang qu’ils lui donnent.

Indépendamment du législateur de l’État, les électeurs voient encore en leur représentant le protecteur naturel du canton près de la législature ; ils ne sont pas même éloignés de le considérer comme le fondé de pouvoirs de chacun de ceux qui l’ont élu, et ils se flattent qu’il ne déploiera pas moins d’ardeur à faire valoir leurs intérêts particuliers que ceux du pays.

Ainsi, les électeurs se tiennent d’avance pour assurés que le député qu’ils choisiront sera un orateur ; qu’il parlera souvent s’il le peut, et que, au cas où il lui faudrait se restreindre, il s’effor-