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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

il est aussitôt sans ressource ; car il n’a pas naturellement une position assez élevée pour être facilement aperçu de ceux qui ne sont pas proches ; et, dans l’indépendance complète où vivent les citoyens, il ne peut espérer que ses amis ou le gouvernement l’imposeront aisément à un corps électoral qui ne le connaîtra pas. C’est donc dans le canton qu’il représente que sont déposés tous les germes de sa fortune ; c’est de ce coin de terre qu’il lui faut sortir pour s’élever à commander le peuple et à influer sur les destinées du monde.

Ainsi, il est naturel que, dans les pays démocratiques, les membres des assemblées politiques songent à leurs électeurs plus qu’à leur parti, tandis que, dans les aristocraties, ils s’occupent plus de leur parti que de leurs électeurs.

Or, ce qu’il faut dire pour plaire aux électeurs n’est pas toujours ce qu’il conviendrait de faire pour bien servir l’opinion politique qu’ils professent.

L’intérêt général d’un parti est souvent que le député qui en est membre ne parle jamais des grandes affaires qu’il entend mal ; qu’il parle peu des petites dont la marche des grandes serait embarrassée, et le plus souvent enfin qu’il se taise entièrement. Garder le silence est le plus utile service qu’un médiocre discoureur puisse rendre à la chose publique.