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SUR LE MOUVEMENT INTELLECTUEL.

Il est bien rare que les goûts raffinés et les penchants hautains de l’aristocratie, quand elle régit le théâtre, ne la portent point à faire, pour ainsi dire, un choix dans la nature humaine. Certaines conditions sociales l’intéressent principalement, et elle se plaît à en retrouver la peinture sur la scène ; certaines vertus, et même certains vices, lui paraissent mériter plus particulièrement d’y être reproduits ; elle agrée le tableau de ceux-ci tandis qu’elle éloigne de ses yeux tous les autres. Au théâtre, comme ailleurs, elle ne veut rencontrer que de grands seigneurs, et elle ne s’émeut que pour des rois. Ainsi des styles. Une aristocratie impose volontiers, aux auteurs dramatiques, de certaines manières de dire, elle veut que tout soit dit sur ce ton.

Le théâtre arrive souvent ainsi à ne peindre qu’un des côtés de l’homme, ou même quelquefois à représenter ce qui ne se rencontre point dans la nature humaine ; il s’élève au-dessus d’elle et en sort.

Dans les sociétés démocratiques les spectateurs n’ont point de pareilles préférences, et ils font rarement voir de semblables antipathies ; ils aiment à retrouver sur la scène le mélange confus de conditions, de sentiments et d’idées qu’ils rencontrent sous leurs yeux ; le théâtre devient plus frappant, plus vulgaire, et plus vrai.