Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 3.djvu/150

Cette page a été validée par deux contributeurs.
141
SUR LE MOUVEMENT INTELLECTUEL.

autant d’aiguillons qui précipitent les pas de chaque homme dans la carrière qu’il a embrassée, et lui défendent de s’en écarter un seul moment. Le principal effort de l’âme va de ce côté. L’imagination n’est point éteinte ; mais elle s’adonne presque exclusivement à concevoir l’utile et à représenter le réel.

L’égalité ne détourne pas seulement les hommes de la peinture de l’idéal ; elle diminue le nombre des objets à peindre.

L’aristocratie, en tenant la société immobile, favorise la fermeté et la durée des religions positives, comme la stabilité des institutions politiques.

Non seulement elle maintient l’esprit humain dans la foi, mais elle le dispose à adopter une foi plutôt qu’une autre. Un peuple aristocratique sera toujours enclin à placer des puissances intermédiaires entre Dieu et l’homme.

On peut dire qu’en ceci l’aristocratie se montre très favorable à la poésie. Quand l’univers est peuplé d’êtres surnaturels qui ne tombent point sous les sens, mais que l’esprit découvre ; l’imagination se sent à l’aise, et les poëtes, trouvant mille sujets divers à peindre, rencontrent des spectateurs sans nombre prêts à s’intéresser à leurs tableaux.

Dans les siècles démocratiques, il arrive, au contraire, quelquefois, que les croyances s’en vont flottantes, comme les lois. Le doute ramène alors