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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

combinaisons de ses amitiés et de ses haines, et prendre part aux luttes qui en résultent, serait agir imprudemment.

« Notre isolement et notre éloignement d’elle nous invitent à adopter une marche contraire et nous permettent de la suivre. Si nous continuons à former une seule nation, régie par un gouvernement fort, le temps n’est pas loin où nous n’aurons rien à craindre de personne. Alors nous pourrons prendre une attitude qui fasse respecter notre neutralité ; les nations belligérantes, sentant l’impossibilité de rien acquérir sur nous, craindront de nous provoquer sans motifs ; et nous serons en position de choisir la paix ou la guerre, sans prendre d’autres guides de nos actions que notre intérêt et la justice.

« Pourquoi abandonnerions-nous les avantages que nous pouvons tirer d’une situation si favorable ? Pourquoi quitterions-nous un terrain qui nous est propre, pour aller nous établir sur un terrain qui nous est étranger ? Pourquoi, enfin, liant notre destinée à celle d’une portion quelconque de l’Europe, exposerions-nous notre paix et notre prospérité à l’ambition, aux rivalités, aux intérêts ou aux caprices des peuples qui l’habitent ?

« Notre vraie politique est de ne contracter d’alliance permanente avec aucune nation étrangère ; autant du moins que nous sommes encore libres de ne pas le faire, car je suis bien loin de vouloir qu’on manque aux engagements existants. L’honnêteté est toujours la meilleure politique ; c’est une maxime que je tiens pour également applicable aux affaires des nations et à celles des individus.