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DES PARTIS AUX ÉTATS-UNIS.

conséquences ; aux généralités et non aux cas particuliers ; aux idées et non aux hommes. Ces partis ont, en général, des traits plus nobles, des passions plus généreuses, des convictions plus réelles, une allure plus franche et plus hardie que les autres. L’intérêt particulier, qui joue toujours le plus grand rôle dans les passions politiques, se cache ici plus habilement sous le voile de l’intérêt public ; il parvient même quelquefois à se dérober aux regards de ceux qu’il anime et fait agir.

Les petits partis, au contraire, sont en général sans foi politique. Comme ils ne se sentent pas élevés et soutenus par de grands objets, leur caractère est empreint d’un égoïsme qui se produit ostensiblement à chacun de leurs actes. Ils s’échauffent toujours à froid ; leur langage est violent, mais leur marche est timide et incertaine. Les moyens qu’ils emploient sont misérables comme le but même qu’ils se proposent. De là vient que quand un temps de calme succède à une révolution violente, les grands hommes semblent disparaître tout-à-coup et les âmes se renfermer en elles-mêmes.

Les grands partis bouleversent la société, les petits l’agitent ; les uns la déchirent et les autres la dépravent ; les premiers la sauvent quelquefois en l’ébranlant, les seconds la troublent toujours sans profit.

L’Amérique a eu de grands partis ; aujourd’hui ils n’existent plus : elle y a beaucoup gagné en bonheur, mais non en moralité.

Lorsque la guerre de l’indépendance eut pris fin, et qu’il s’agit d’établir les bases du nouveau gouvernement, la nation se trouva divisée entre deux opi-