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DU GOUVERNEMENT DE LA DÉMOCRATIE.

pace de la vie, remarque un fait, un autre conçoit une idée ; celui-ci invente un moyen, celui-là trouve une formule ; l’humanité recueille en passant ces fruits divers de l’expérience individuelle, et forme les sciences. Il est très difficile que les administrateurs américains apprennent rien les uns des autres. Ainsi ils apportent à la conduite de la société les lumières qu’ils trouvent répandues dans son sein, et non des connaissances qui leur soient propres. La démocratie, poussée dans ses dernières limites, nuit donc au progrès de l’art de gouverner. Sous ce rapport, elle convient mieux à un peuple dont l’éducation administrative est déjà faite, qu’à un peuple novice dans l’expérience des affaires.

Ceci, du reste, ne se rapporte point uniquement à la science administrative. Le gouvernement démocratique, qui se fonde sur une idée si simple et si naturelle, suppose toujours, cependant, l’existence d’une société très civilisée et très savante[1]. D’abord on le croirait contemporain des premiers âges du monde ; en y regardant de près, on découvre aisément qu’il n’a dû venir que le dernier.

  1. Il est inutile de dire que je parle ici du gouvernement démocratique appliqué à un peuple et non à une petite tribu.