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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

ils conserveront tous du moins un état social analogue, et auront de commun les usages et les idées qui découlent de l’état social.

Le seul lien de la religion a suffi au moyen-âge pour réunir dans une même civilisation les races diverses qui peuplèrent l’Europe. Les Anglais du Nouveau-Monde ont entre eux mille autres liens, et ils vivent dans un siècle où tout cherche à s’égaliser parmi les hommes.

Le moyen-âge était une époque de fractionnement. Chaque peuple, chaque province, chaque cité, chaque famille, tendaient alors fortement à s’individualiser. De nos jours, un mouvement contraire se fait sentir, les peuples semblent marcher vers l’unité. Des liens intellectuels unissent entre elles les parties les plus éloignées de la terre, et les hommes ne sauraient rester un seul jour étrangers les uns aux autres, ou ignorants de ce qui se passe dans un coin quelconque de l’univers : aussi remarque-t-on aujourd’hui moins de différence entre les Européens et leurs descendants du Nouveau-Monde, malgré l’Océan qui les divise, qu’entre certaines villes du treizième siècle qui n’étaient séparées que par une rivière.

Si ce mouvement d’assimilation rapproche des peuples étrangers, il s’oppose à plus forte raison à ce que les rejetons du même peuple deviennent étrangers les uns aux autres.

Il arrivera donc un temps où l’on pourra voir dans l’Amérique du Nord cent cinquante millions d’hommes[1] égaux entre eux, qui tous appartiendront à

  1. C’est la population proportionnelle à celle de l’Europe, en prenant la moyenne de 410 hommes par lieue carrée.