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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

L’esclave est un serviteur qui ne discute point et se soumet à tout sans murmurer. Quelquefois il assassine son maître, mais il ne lui résiste jamais. Dans le Sud il n’y a pas de familles si pauvres qui n’aient des esclaves. L’Américain du Sud, dès sa naissance, se trouve investi d’une sorte de dictature domestique ; les premières notions qu’il reçoit de la vie lui font connaître qu’il est né pour commander, et la première habitude qu’il contracte est celle de dominer sans peine. L’éducation tend donc puissamment à faire de l’Américain du Sud un homme altier, prompt, irascible, violent, ardent dans ses désirs, impatient des obstacles ; mais facile à décourager s’il ne peut triompher du premier coup.

L’Américain du Nord ne voit pas d’esclaves accourir autour de son berceau. Il n’y rencontre même pas de serviteurs libres, car le plus souvent il en est réduit à pourvoir lui-même à ses besoins. À peine est-il au monde que l’idée de la nécessité vient de toutes parts se présenter à son esprit ; il apprend donc de bonne heure à connaître exactement par lui-même la limite naturelle de son pouvoir ; il ne s’attend point à plier par la force les volontés qui s’opposeront à la sienne, et il sait que, pour obtenir l’appui de ses semblables, il faut avant tout gagner leurs faveurs. Il est donc patient, réfléchi, tolérant, lent à agir, et persévérant dans ses desseins.

Dans les États méridionaux, les plus pressants besoins de l’homme sont toujours satisfaits. Ainsi l’Américain du Sud n’est point préoccupé par les soins matériels de la vie ; un autre se charge d’y songer pour lui. Libre sur ce point, son imagination se dirige vers