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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

nombrable, qui déjà s’étend au-dessus d’eux comme une masse compacte, depuis les glaces du Canada jusqu’aux frontières de la Virginie, depuis les rivages du Missouri jusqu’aux bords de l’océan Atlantique. Si les blancs de l’Amérique du Nord restent unis, il est difficile de croire que les nègres puissent échapper à la destruction qui les menace ; ils succomberont sous le fer ou la misère. Mais les populations noires accumulées le long du golfe du Mexique, ont des chances de salut si la lutte entre les deux races vient à s’établir alors que la confédération américaine sera dissoute. Une fois l’anneau fédéral brisé, les hommes du Sud auraient tort de compter sur un appui durable de la part de leurs frères du Nord. Ceux-ci savent que le danger ne peut jamais les atteindre ; si un devoir positif ne les contraint de marcher au secours du Sud, on peut prévoir que les sympathies de race seront impuissantes.

Quelle que soit, du reste, l’époque de la lutte, les blancs du Sud, fussent-ils abandonnés à eux-mêmes, se présenteront dans la lice avec une immense supériorité de lumières et de moyens ; mais les noirs auront pour eux le nombre et l’énergie du désespoir. Ce sont là de grandes ressources quand on a les armes à la main. Peut-être arrivera-t-il alors à la race blanche du Sud ce qui est arrivé aux Maures d’Espagne. Après avoir occupé le pays pendant des siècles, elle se retirera enfin peu à peu vers la contrée d’où ses aïeux sont autrefois venus, abandonnant aux nègres la possession d’un pays que la Providence semble destiner à ceux-ci, puisqu’ils y vivent sans peine et y travaillent plus facilement que les blancs.