Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 2.djvu/308

Cette page a été validée par deux contributeurs.
305
ÉTAT ACTUEL ET AVENIR DES TROIS RACES.

nobles de certains pays de l’Europe, où les cadets, sans avoir la même richesse que l’aîné, restent aussi oisifs que lui. Cet effet semblable était produit en Amérique et en Europe par des causes entièrement analogues. Dans le Sud des États-Unis, la race entière des blancs formait un corps aristocratique à la tête duquel se tenaient un certain nombre d’individus privilégiés dont la richesse était permanente et les loisirs héréditaires. Ces chefs de la noblesse américaine perpétuaient dans le corps dont ils étaient les représentants les préjugés traditionnels de la race blanche, et maintenaient l’oisiveté en honneur. Dans le sein de cette aristocratie, on pouvait rencontrer des pauvres, mais non des travailleurs ; la misère y paraissait préférable à l’industrie ; les ouvriers nègres et esclaves ne trouvaient donc point de concurrents, et, quelque opinion qu’on pût avoir sur l’utilité de leurs efforts, il fallait bien les employer, puisqu’ils étaient seuls.

Du moment où la loi des successions a été abolie, toutes les fortunes ont commencé à diminuer simultanément, toutes les familles se sont rapprochées par un même mouvement de l’état où le travail devient nécessaire à l’existence ; beaucoup d’entre elles ont entièrement disparu ; toutes ont entrevu le moment où il faudrait que chacun pourvût soi-même à ses besoins. Aujourd’hui on voit encore des riches, mais ils ne forment plus un corps compact et héréditaire ; ils n’ont pu adopter un esprit, y persévérer et le faire pénétrer dans tous les rangs. On a donc commencé à abandonner d’un commun accord le préjugé qui flétrissait le travail ; il y a eu plus de pauvres, et les