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ÉTAT ACTUEL ET AVENIR DES TROIS RACES.

liser, les Européens continuaient à les envelopper de toutes parts et a les resserrer de plus en plus. Aujourd’hui, les deux races se sont enfin rencontrées ; elles se touchent. L’Indien est déjà devenu supérieur à son père le sauvage, mais il est encore fort inférieur au blanc son voisin. À l’aide de leurs ressources et de leurs lumières, les Européens n’ont pas tardé à s’approprier la plupart des avantages que la possession du sol pouvait fournit aux indigènes ; ils se sont établis au milieu d’eux, se sont emparés de la terre ou l’ont achetés à vil prix, et les ont ruinés par une concurrence que ces derniers ne pouvaient en aucune façon soutenir. Isolés dans leur propre pays, les Indiens n’ont plus formés qu’une petite colonie d’étrangers incommodes au milieu d’un peuple nombreux et dominateur[1].

Washington avait dit, dans un de ses messages au congrès : « Nous sommes plus éclairés et plus puissants

  1. Voyez, dans les documents législatifs, 21e congrès, no 89, les excès de tous genres commis par la population blanche sur le territoire des Indiens. Tantôt les Anglo-Américains s’établissent sur une partie du territoire, comme si la terre manquait ailleurs, et il faut que les troupes du congrès viennent les expulser ; tantôt ils enlèvent les bestiaux, brûlent les maisons, coupent les fruits des indigènes ou exercent des violences sur leurs personnes.

    Il résulte de toutes ces pièces la preuve que les indigènes sont chaque jour victimes de l’abus de la force. L’Union entretient habituellement parmi les Indiens un agent chargé de la représenter ; le rapport de l’agent des Cherokées se trouve parmi les pièces que je cite : le langage de ce fonctionnaire est presque toujours favorable aux sauvages. « L’intrusion des blancs sur le territoire des Cherokées, dit-il, p. 12, causera la ruine de ceux qui y habitent, et qui y mènent une existence pauvre et inoffensive. » Plus loin on voit que l’État de Géorgie, voulant resserrer les limites des Cherokées, procède à un bornage ; l’agent fédéral fait remarquer que le bornage n’ayant été fait que par les blancs, et non contradictoirement, n’a aucune valeur.