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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

L’Indien, au fond de la misère de ses bois, nourrit donc les mêmes idées, les mêmes opinions que le noble du moyen âge dans son château-fort, et il ne lui manque, pour achever de lui ressembler, que de devenir conquérant. Ainsi, chose singulière ! c’est dans les forêts du Nouveau-Monde, et non parmi les Européens qui peuplent ses rivages, que se retrouvent aujourd’hui les anciens préjugés de l’Europe.

J’ai cherché plus d’une fois, dans le cours de cet ouvrage, à faire comprendre l’influence prodigieuse que me paraissait exercer l’état social sur les lois et les mœurs des hommes. Qu’on me permette d’ajouter à ce sujet un seul mot.

Lorsque j’aperçois la ressemblance qui existe entre les institutions politiques de nos pères, les Germains, et celles des tribus errantes de l’Amérique du Nord, entre les coutumes retracées par Tacite, et celles dont j’ai pu quelquefois être le témoin, je ne saurais m’empêcher de penser que la même cause a produit, dans les deux hémisphères, les mêmes effets, et qu’au

    puisse se vanter de quelques prouesses, on n’a pour lui aucune considération : on le regarde à peu près comme une femme.

    « À leurs grandes danses de guerre, les guerriers viennent l’un après l’autre frapper le poteau, comme ils l’appellent, et racontent leurs exploits. Dans cette occasion, leur auditoire est composé des parents, amis et compagnons du narrateur. L’impression profonde que produisent sur eux ses paroles paraît manifestement au silence avec lequel on l’écoute, et se manifeste bruyamment par les applaudissements qui accompagnent la fin de ses récits. Le jeune homme qui n’a rien à raconter dans de semblables réunions se considère comme très malheureux, et il n’est pas sans exemple que de jeunes guerriers dont les passions avaient été ainsi excitées, se soient éloignés tout à coup de la danse, et, partant seuls, aient été chercher des trophées qu’ils pussent montrer et des aventures dont il leur fût permis de se glorifier. »