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ÉTAT ACTUEL ET AVENIR DES TROIS RACES.

vie, des colliers de verre, des bracelets d’étain, des pendants d’oreilles et des miroirs[1]. Si, à la vue de toutes ces richesses, ils hésitent encore, on leur insinue qu’ils ne sauraient refuser le consentement qu’on leur demande, et que bientôt le gouvernement lui-même sera impuissant pour leur garantir la jouissance de leurs droits. Que faire ? À demi convaincus, à moitié contraints, les Indiens s’éloignent ; ils vont habiter de nouveaux déserts où les blancs ne les laisseront pas dix ans en paix. C’est ainsi que les Américains acquièrent à vil prix des provinces entières, que les plus riches souverains de l’Europe ne sauraient payer[2].

Je viens de retracer de grands maux, j’ajoute qu’ils

  1. Voyez dans les Documents législatifs du congrès, doc. 117, le récit de ce qui se passe dans ces circonstances. Ce morceau curieux se trouve dans le rapport déjà cité, fait par MM. Clark et Lewis Cass, au congrès, le 4 février 1829. M. Cass est aujourd’hui secrétaire d’État de la guerre.

    « Quand les Indiens arrivent dans l’endroit où le traité doit avoir lieu, disent MM. Clark et Cass, ils sont pauvres et presque nus. Là, ils voient et examinent un très grand nombre d’objets précieux pour eux, que les marchands américains ont eu soin d’y apporter. Les femmes et les enfants qui désirent qu’on pourvoie à leurs besoins, commencent alors à tourmenter les hommes de mille demandes importunes, et emploient toute leur influence sur ces derniers pour que la vente des terres ait lieu. L’imprévoyance des Indiens est habituelle et invincible. Pourvoir a ses besoins immédiats et gratifier ses désirs présents est la passion irrésistible du sauvage : l’attente d’avantages futurs n’agit que faiblement sur lui ; il oublie facilement le passé, et ne s’occupe point de l’avenir. On demanderait en vain aux Indiens la cession d’une partie de leur territoire, si l’on n’était en état de satisfaire sur-le-champ leurs besoins. Quand on considère avec impartialité la situation dans laquelle ces malheureux se trouvent, on ne s’étonne pas de l’ardeur qu’ils mettent à obtenir quelques soulagements à leurs maux. »

  2. Le 19 mai 1830, M. Ed. Everett affirmait devant la chambre des