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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

saient ainsi, leurs ressources ne cessaient de décroître.

Du jour où un établissement européen se forme dans le voisinage du territoire occupé par les Indiens, le gibier prend aussitôt l’alarme[1]. Des milliers de sauvages, errant dans les forêts, sans demeures fixes, ne l’effrayaient point ; mais à l’instant où les bruits continus de l’industrie européenne se font entendre en quelque endroit, il commence à fuir et à se retirer vers l’ouest, où son instinct lui apprend qu’il rencontrera des déserts encore sans bornes. « Les troupeaux de bisons se retirent sans cesse, disent MM. Cass et Clark dans leur rapport au congrès, 4 février 1829 ; il y a quelques années, ils s’appro-

    musqué, qui fournissent particulièrement aux Indiens ce qui est nécessaire au soutien de la vie.

    « C’est principalement au nord-ouest que les Indiens sont obligés de se livrer à des travaux excessifs pour nourrir leur famille. Souvent le chasseur consacre plusieurs jours de suite à poursuivre le gibier sans succès ; pendant ce temps, il faut que sa famille se nourrisse d’écorces et de racines, ou qu’elle périsse : aussi il y en a beaucoup qui meurent de faim chaque hiver. »

    Les Indiens ne veulent pas vivre comme les Européens : cependant ils ne peuvent se passer des Européens, ni vivre entièrement comme leurs pères. On en jugera par ce seul fait, dont je puise également la connaissance à une source officielle. Des hommes appartenant à une tribu indienne des bords du lac Supérieur avaient tué un Européen ; le gouvernement américain défendit de trafiquer avec la tribu dont les coupables faisaient partie, jusqu’à ce que ceux-ci lui eussent été livrés : ce qui eut lieu.

  1. « Il y a cinq ans, dit Volney dans son Tableau des États-Unis, p. 370, en allant de Vincennes à Kaskaskias, territoire compris aujourd’hui dans l’État d’Illinois, alors entièrement sauvage (1797), l’on ne traversait point de prairies sans voir des troupeaux de quatre à cinq cents buffles : aujourd’hui il n’en reste plus ; ils ont passé le Mississipi à la nage, importunés par les chasseurs, et surtout par les sonnettes des vaches américaines. »