Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 2.djvu/254

Cette page a été validée par deux contributeurs.
251
ÉTAT ACTUEL ET AVENIR DES TROIS RACES.

Parmi ces hommes si divers, le premier qui attire les regards, le premier en lumière, en puissance, en bonheur, c’est l’homme blanc, l’Européen, l’homme par excellence ; au-dessous de lui paraissent le nègre et l’Indien.

Ces deux races infortunées n’ont de commun ni la naissance, ni la figure, ni le langage, ni les mœurs ; leurs malheurs seuls se ressemblent. Toutes deux occupent une position également inférieure dans le pays qu’elles habitent ; toutes deux éprouvent les effets de la tyrannie ; et si leurs misères sont différentes, elles peuvent en accuser les mêmes auteurs.

Ne dirait-on pas, à voir ce qui se passe dans le monde, que l’Européen est aux hommes des autres races ce que l’homme lui-même est aux animaux ? Il les fait servir à son usage, et quand il ne peut les plier, il les détruit.

L’oppression a enlevé du même coup, aux descendants des Africains, presque tous les privilèges de l’humanité ! Le nègre des États-Unis a perdu jusqu’au souvenir de son pays ; il n’entend plus la langue qu’ont parlée ses pères ; il a abjuré leur religion et oublié leurs mœurs. En cessant ainsi d’appartenir à l’Afrique, il n’a pourtant acquis aucun droit aux biens de l’Europe ; mais il s’est arrêté entre les deux sociétés ; il est resté isolé entre les deux peuples ; vendu par l’un et répudié par l’autre ; ne trouvant dans l’univers entier que le foyer de son maître pour lui offrir l’image incomplète de la patrie.

Le nègre n’a point de famille ; il ne saurait voir dans la femme autre chose que la compagne passa-