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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

cains du Sud et ceux du Nord, mais elles ne sauraient même produire chez les premiers quelque chose qui ne fût pas inférieur à ce qu’on voit en Europe, où elles agissent en sens contraire.

Les causes physiques n’influent donc pas autant qu’on le suppose sur la destinée des nations.

J’ai rencontré des hommes de la Nouvelle-Angleterre prêts à abandonner une patrie où ils auraient pu trouver l’aisance, pour aller chercher fortune au désert. Près de là, j’ai vu la population française du Canada se presser dans un espace trop étroit pour elle, lorsque le même désert était proche ; et tandis que l’émigrant des États-Unis acquérait avec le prix de quelques journées de travail un grand domaine, le Canadien payait la terre aussi cher que s’il eût encore habité la France.

Ainsi la nature, en livrant aux Européens les solitudes du Nouveau Monde, leur offre des biens dont ils ne savent pas toujours se servir.

J’aperçois chez d’autres peuples de l’Amérique les mêmes conditions de prospérité que chez les Anglo-Américains, moins leurs lois et leurs mœurs ; et ces peuples sont misérables. Les lois et les mœurs des Anglo-Américains forment donc la raison spéciale de leur grandeur et la cause prédominante que je cherche.

Je suis loin de prétendre qu’il y ait une bonté absolue dans les lois américaines : je ne crois point qu’elles soient applicables à tous les peuples démocratiques ; et, parmi elles, il en est plusieurs qui, aux États-Unis même, me semblent dangereuses.

Cependant, on ne saurait nier que la législation des