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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

pouvoir, et mettre une sorte d’orgueil de profession à y rester étrangers.

Je les entendis frapper d’anathème l’ambition et la mauvaise foi, quelles que fussent les opinions politiques dont elles prennent soin de se couvrir. Mais j’appris, en les écoutant, que les hommes ne peuvent être condamnables aux yeux de Dieu à cause de ces mêmes opinions, lorsqu’elles sont sincères, et qu’il n’y a pas plus de péché à errer en matière de gouvernement, qu’à se tromper sur la manière dont il faut bâtir sa demeure ou tracer son sillon.

Je les vis se séparer avec soin de tous les partis, et en fuir le contact avec toute l’ardeur de l’intérêt personnel.

Ces faits achevèrent de me prouver qu’on m’avait dit vrai. Alors je voulus remonter des faits aux causes : je me demandai comment il pouvait arriver qu’en diminuant la force apparente d’une religion, on vint à augmenter sa puissance réelle, et je crus qu’il n’était pas impossible de le découvrir.

Jamais le court espace de soixante années ne renfermera toute l’imagination de l’homme ; les joies incomplètes de ce monde ne suffiront jamais a son cœur. Seul entre tous les êtres, l’homme montre un dégoût naturel pour l’existence et un désir immense d’exister : il méprise la vie et craint le néant. Ces différents instincts poussent sans cesse son âme vers la contemplation d’un autre monde, et c’est la religion qui l’y conduit. La religion n’est donc qu’une forme particulière de l’espérance, et elle est aussi naturelle au cœur humain que l’espérance elle-même. C’est par une espèce d’aberration de l’intelligence, et à l’aide