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CAUSES QUI MAINTIENNENT LA DÉMOCRATIE.

tous les besoins s’y satisfont sans peine : il ne faut pas redouter d’y faire naître trop de passions, puisque toutes les passions trouvent un aliment facile et salutaire ; on ne peut y rendre les hommes trop libres, parce qu’ils ne sont presque jamais tentés d’y faire un mauvais usage de la liberté.

Les républiques américaines de nos jours sont comme des compagnies de négociants formées pour exploiter en commun les terres désertes du Nouveau-Monde, et occupées d’un commerce qui prospère.

Les passions qui agitent le plus profondément les Américains sont des passions commerciales et non des passions politiques, ou plutôt ils transportent dans la politique des habitudes du négoce. Ils aiment l’ordre, sans lequel les affaires ne sauraient prospérer, et ils prisent particulièrement la régularité des mœurs, qui fonde les bonnes maisons ; ils préfèrent le bon sens qui crée les grandes fortunes au génie qui souvent les dissipe ; les idées générales effraient leurs esprits accoutumés aux calculs positifs, et parmi eux, la pratique est plus en honneur que la théorie.

C’est en Amérique qu’il faut aller pour comprendre quelle puissance exerce le bien-être matériel sur les actions politiques et jusque sur les opinions elles-mêmes, qui devraient n’être soumises qu’à la raison. C’est parmi les étrangers qu’on découvre principalement la vérité de ceci. La plupart des émigrants d’Europe apportent dans le Nouveau-Monde cet amour sauvage de l’indépendance et du changement qui naît si souvent au milieu de nos misères. Je rencontrais quelquefois aux États-Unis de