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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

plupart d’entre eux doivent se montrer amis de l’ordre et ennemis des changements.

Je dis que dans une société où les légistes occuperont sans contestation la position élevée qui leur appartient naturellement, leur esprit sera éminemment conservateur et se montrera antidémocratique.

Lorsque l’aristocratie ferme ses rangs aux légistes, elle trouve en eux des ennemis d’autant plus dangereux qu’au-dessous d’elle par leur richesse et leur pouvoir, ils sont indépendants d’elle par leurs travaux et se sentent à son niveau par leurs lumières.

Mais toutes les fois que les nobles ont voulu faire partager aux légistes quelques uns de leurs priviléges, ces deux classes ont rencontré pour s’unir de grandes facilités et se sont pour ainsi dire trouvées de la même famille.

Je suis également porté à croire qu’il sera toujours aisé à un roi de faire des légistes les plus utiles instruments de sa puissance.

Il y a infiniment plus d’affinité naturelle entre les hommes de loi et le pouvoir exécutif, qu’entre eux et le peuple, quoique les légistes aient souvent aidé à renverser le premier ; de même qu’il y a plus d’affinité naturelle entre les nobles et le roi qu’entre les nobles et le peuple, bien que souvent on ait vu les classes supérieures de la société s’unir aux autres pour lutter contre le pouvoir royal.

Ce que les légistes aiment par-dessus toutes choses, c’est la vie de l’ordre, et la plus grande garantie de l’ordre est l’autorité. Il ne faut pas d’ailleurs