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AVANTAGES DU GOUVERNEMENT, ETC.

pouvoirs de la démocratie ; ils ont plutôt étendu ses domaines.

On ne peut douter que le moment où l’on accorde des droits politiques à un peuple qui en a été privé jusqu’alors, ne soit un moment de crise, crise souvent nécessaire, mais toujours dangereuse.

L’enfant donne la mort quand il ignore le prix de la vie ; il enlève la propriété d’autrui avant de connaître qu’on peut lui ravir la sienne. L’homme du peuple, à l’instant où on lui accorde des droits politiques, se trouve, par rapport à ses droits, dans la même position que l’enfant vis-à-vis de toute la nature, et c’est le cas de lui appliquer ce mot célèbre : Homo puer robustus.

Cette vérité se découvre en Amérique même. Les États où les citoyens jouissent le plus anciennement de leurs droits sont ceux où ils savent encore le mieux s’en servir.

On ne saurait trop le dire : il n’est rien de plus fécond en merveilles que l’art d’être libre ; mais il n’y a rien de plus dur que l’apprentissage de la liberté. Il n’en est pas de même du despotisme. Le despotisme se présente souvent comme le réparateur de tous les maux soufferts ; il est l’appui du bon droit, le soutien des opprimés et le fondateur de l’ordre. Les peuples s’endorment au sein de la prospérité momentanée qu’il fait naître ; et lorsqu’ils se réveillent, ils sont misérables. La liberté, au contraire, naît d’ordinaire au milieu des orages, elle s’établit péniblement parmi les discordes civiles et ce n’est que quand elle est déjà vieille qu’on peut connaître ses bienfaits.