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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

en Europe le nombre des citoyens en proportion de l’extension de ces droits.

D’où vient qu’aux États-Unis, où les habitants sont arrivés d’hier sur le sol qu’ils occupent, où ils n’y ont apporté ni usages, ni souvenirs ; où ils s’y rencontrent pour la première fois sans se connaître ; où, pour le dire en un mot, l’instinct de la patrie peut à peine exister ; d’où vient que chacun s’intéresse aux affaires de sa commune, de son canton et de l’État tout entier comme aux siennes mêmes ? C’est que chacun, dans sa sphère, prend une part active au gouvernement de la société.

L’homme du peuple, aux États-Unis, a compris l’influence qu’exerce la prospérité générale sur son bonheur, idée si simple et cependant si peu connue du peuple. De plus, il s’est accoutumé à regarder cette prospérité comme son ouvrage. Il voit donc dans la fortune publique la sienne propre, et il travaille au bien de l’État, non seulement par devoir ou par orgueil, mais j’oserais presque dire par cupidité.

On n’a pas besoin d’étudier les institutions et l’histoire des Américains pour connaître la vérité de ce qui précède, les mœurs vous en avertissent assez. L’Américain prenant part à tout ce qui se fait dans son pays, se croit intéressé à défendre tout ce qu’on y critique ; car ce n’est pas seulement son pays qu’on attaque alors, c’est lui-même : aussi voit-on son orgueil national recourir à tous les artifices et descendre à toutes les puérilités de la vanité individuelle.

Il n’y a rien de plus gênant dans l’habitude de la