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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

çaise éclata. Les plus simples lumières de la raison suffisaient alors, comme aujourd’hui, pour faire concevoir aux Américains que leur intérêt n’était point de s’engager dans la lutte qui allait ensanglanter l’Europe, et dont les États-Unis ne pouvaient souffrir aucun dommage.

Les sympathies du peuple en faveur de la France se déclarèrent cependant avec tant de violence qu’il ne fallut rien moins que le caractère inflexible de Washington et l’immense popularité dont il jouissait pour empêcher qu’on ne déclarât la guerre à l’Angleterre. Et, encore, les efforts que fit l’austère raison de ce grand homme pour lutter contre les passions généreuses, mais irréfléchies, de ses concitoyens, faillirent-ils lui enlever la seule récompense qu’il se fût jamais réservée, l’amour de son pays. La majorité se prononça contre sa politique ; maintenant le peuple entier l’approuve[1].

Si la Constitution et la faveur publique n’eussent pas donné à Washington la direction des affaires exté-

  1. Voyez le cinquième volume de la Vie de Washington, par Marshall. « Dans un gouvernement constitué comme l’est celui des États-Unis, dit-il, Page 314, le premier magistrat ne peut, quelle que soit sa fermeté, opposer long-temps une digue au torrent de l’opinion populaire ; et celle qui prévalait alors semblait mener à la guerre. En effet, dans la session du congrès tenu à cette époque, on s’aperçut très fréquemment que Washington avait perdu la majorité dans la chambre des représentants. » En dehors, la violence du langage dont on se servait contre lui était extrême : dans une réunion politique, on ne craignit pas de le comparer indirectement au traître Arnold (page 265). « Ceux qui tenaient au parti de l’opposition, dit encore Marshall (page 355), prétendirent que les partisans de l’administration composaient une faction aristocratique qui était soumise à l’Angleterre, et qui, voulant établir la monarchie, était par conséquent ennemie de la France ; une