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ÉTAT SOCIAL DES ANGLO-AMÉRICAINS

terre. La famille représente la terre, la terre représente la famille ; elle perpétue son nom, son origine, sa gloire, sa puissance, ses vertus. C’est un témoin impérissable du passé, et un gage précieux de l’existence à venir.

Lorsque la loi des successions établit le partage égal, elle détruit la liaison intime qui existait entre l’esprit de famille et la conservation de la terre, la terre cesse de représenter la famille, car, ne pouvant manquer d’être partagée au bout d’une ou de deux générations, il est évident qu’elle doit sans cesse s’amoindrir, et finir par disparaître entièrement. Les fils d’un grand propriétaire foncier, s’ils sont en petit nombre, ou si la fortune leur est favorable, peuvent bien conserver l’espérance de n’être pas moins riches que leur auteur, mais non de posséder les mêmes biens que lui ; leur richesse se composera nécessairement d’autres éléments que la sienne.

Or, du moment où vous enlevez aux propriétaires fonciers un grand intérêt de sentiment, de souvenirs, d’orgueil, d’ambition à conserver la terre, on peut être assuré que tôt ou tard ils la vendront, car ils ont un grand intérêt pécuniaire à la vendre, les capitaux mobiliers produisant plus d’intérêts que les autres, et se prêtant bien plus facilement à satisfaire les passions du moment.

Une fois divisées, les grandes propriétés foncières ne se refont plus ; car le petit propriétaire tire plus de revenu de son champ[1], proportion gardée, que le grand propriétaire du sien ; il le vend donc beaucoup

  1. Je ne veux pas dire que le petit propriétaire cultive mieux, mais